Par Laurie Chamard
Jésus a-t-il vraiment existé ?
« The Chosen est basé sur les histoires vraies des évangiles de Jésus-Christ »
La série The Chosen nous plonge au cœur de la Palestine du premier siècle de notre ère. Passé le générique au son du titre « Walk on the water », nous rencontrons rapidement des soldats romains, des pécheurs désespérés, des religieux. Au milieu de ce beau monde : Jésus. En spectateur attentif, vous vous souvenez peut-être du court texte apparu avant que le premier épisode ne se lance : « The Chosen est basé sur les histoires vraies des évangiles de Jésus-Christ ». Dans cette phrase, deux informations nous sont données : la série s’inspire d’histoires vraies et celles-ci sont relatées dans les évangiles de Jésus-Christ.
Il est aisé d’être d’accord avec la seconde partie de cette affirmation, la vie du Messie est relatée dans quatre livres de la Bible, nommés d’après leur auteur : Matthieu, Marc, Luc et Jean. Ce sont ces livres du Nouveau Testament qui sont appelés « évangiles », mot d’origine grecque signifiant « Bonne Nouvelle ». Pour la première partie de la description The Chosen, « basé sur les histoires vraies », la question est tout autre. Pour y répondre, il faut en réalité d’abord réfléchir à une autre question nécessaire : Jésus a-t-il réellement existé ou est-il un super héros imaginaire qui, tel un Marvel, fait un bon script mais ne peut pas vraiment changer le monde ?
Il est courant que l’on s’interroge sur les miracles effectués par Jésus ou sur sa résurrection. On peut alors se demander si ces faits sont plausibles (c’est par exemple ce que fait l’auteur Lee Strobel dans son livre « Jésus : l’enquête » que je vous conseille de lire si le sujet vous intéresse), mais la croyance vient ensuite prendre le relais. En ce qui concerne la question de l’existence de Jésus, la réponse est tranchée puisqu’elle s’appuie sur des preuves historiques et archéologiques. Nous avons interrogé Matthieu Richelle à ce sujet, professeur d’Ancien Testament à l’Université de Louvain-la-Neuve, auteur entre autres de « Jésus Pour Les Nuls ». Pour les plus sceptiques d’entre nous qui liront ces lignes, nous pouvons préciser que Matthieu Richelle est de confession chrétienne, mais ses arguments se retrouvent chez bien d’autres, notamment chez l’historienne Manon Champier, plus connue sous le nom de Manon Bril qui tient la chaine YouTube « C’est une autre histoire » et qui est athée. Elle a d’ailleurs proposé une vidéo s’intitulant « Jésus a-t-il vraiment existé ? Réponse de la science ».
Revenons dans un premier temps sur l’historique du débat. Se pose-t-on la question de l’existence réelle de Jésus depuis toujours ? En vérité non, c’est même plutôt récent. Le XVIIIème siècle a vu émerger la thèse dite « mythiste ». Selon Richelle « C’est surtout dans les derniers siècles qu’on s’est posé des questions sur l’existence de Jésus mais la plupart du temps les historiens l’ont accepté et se posaient plutôt des questions sur tel ou tel événement de sa vie raconté dans les évangiles ou telle parole prononcée de telle manière ». La communauté scientifique, les historiens ne remettent pas en question l’existence de Jésus. En ce qui concerne les sources qui l’affirment, il y a bien sûr les Évangiles, nous reviendrons dessus, mais des sources pertinentes « qui viennent d’un autre bord sont d’auteurs romains. Tacite, Suétone qui sont des gens qui n’ont pas du tout intérêt à parler de Jésus et qui pourtant le mentionnent comme quelqu’un qui a existé. » Selon les exigences standards des historiens pour vérifier si quelqu’un a existé, il y a donc suffisamment d’attestations. Pour Matthieu Richelle « les auteurs des Évangiles, même s’ils se connaissaient souvent sont des personnes différentes et en ce qui concerne les sources romaines, elles sont distinctes et n’ont aucun intérêt à défendre l’existence de Jésus ». Du côté du judaïsme, il y a également des allusions à Jésus qui ne sont pas flatteuses mais leur stratégie n’a jamais été de remettre en question son existence, ce qui est assez significatif. »
L’historien romain Tacite a vécu entre 58 et 120 après J.-C. et a écrit de longues fresques historiques (Les Annales et les Histoires), « il parle d’empereurs romains et il y a un passage sur Jésus, il parle de l’origine du mot chrétien, qui vient de Christ, quelqu’un que Pilate, un procurateur romain a tué. Il dit d’ailleurs qu’il est à l’origine d’une « détestable superstition », donc une forme de croyance religieuse qu’il n’aimait pas du tout et qui existe encore de son temps ». Selon Richelle, on peut aller encore plus loin, Suétone, haut fonctionnaire romain rédige les Vies des douze Césars. Il y écrit que l’empereur Claude (41-54 après JC) a « expulsé des juifs de Rome parce qu’ils n’arrêtaient pas de poser des problèmes « à l’instigation de Chrestus », on comprend bien que c’est du Christ qu’il s’agit. »
Parmi les sources connues, en dehors de la Bible, se trouvent les écrits de Flavius Josèphe, un aristocrate juif ayant vécu de 37 à 100 après JC. « Il relate l’histoire des juifs et de leur révolte mais ces textes ont souvent été transmis et gardés par des chrétiens. Ce sont eux qui les recopiaient et il probable que certains aient rajoutés des passages où on parle de Jésus. Les historiens sont donc partagés. Parfois il est fort possible qu’il y ait eu des ajouts mais dans certains cas les spécialistes disent qu’il y a eu ajout sur des lignes déjà écrites de la main de Josèphe.
Nous avons donc des sources qui attestent de l’existence de Jésus, les Évangiles, des sources romaines et juives. Ne sont-elles pas trop peu nombreuses ? Ne pourrait-on pas s’attendre à retrouver un procès-verbal du procès de Jésus ? Selon Richelle, il faut se remémorer le contexte. « Jésus est un petit rabbin, un maître religieux local d’une petite partie de l’empire romain qui n’a pas vécu très longtemps et qui n’avait pas le même retentissement de son vivant. Ça ne veut pas dire que parce qu’il y a moins de trace de Jésus que de César par exemple, il n’a pas existé, il y a beaucoup de personnages de l’histoire qui ont laissé moins de trace dont on ne doute pas qu’ils aient bien vécus ». Il nous faut ajouter au contexte historique, le contexte archéologique. Les archives de l’antiquité « étaient souvent écrites sur du matériel périssable, du parchemin ou du papyrus. C’est généralement des choses qui ont disparu depuis longtemps. On retrouve un infime pourcentage de la littérature et des archives de l’antiquité. » Pour un personnage qui n’avait pas à l’époque une importance politique notable ce n’est pas étonnant que l’on n’ait pas retrouvé de procès-verbal du procès par exemple. Pour l’historienne Manon Champier, le petit nombre de sources s’explique : « le courant très marginal, d’un juif marginal au fin fond de la Palestine qui est elle-même une province marginale du grand Empire Romain intéresse très peu les historiens de l’époque. […] En vérité le plus étonnant est qu’il y ait eu des gens suffisamment cultivés pour connaître l’existence du Christ et qu’ils aient daigné y faire allusion pendant le premier ou le début du deuxième siècle. »
D’autre part, le comportement des premiers chrétiens penche en faveur de l’existence de Jésus. Il faudrait chercher des explications très complexes pour comprendre pourquoi un petit groupe de gens, qui se sont vite multipliés, a décidé de changer complètement de vie, de conviction religieuse, d’avoir des problèmes, d’être parfois expulsés de leur groupe pour un homme qui n’aurait pas existé. Pour Richelle « les origines du christianisme sont impossibles à expliquer s’il n’y a pas eu un certain Jésus ».
En ce qui concerne les dernières sources, les plus complètes, il s’agit des Évangiles que nous avons abordés en début d’article. Pour les historiens, la question qui leur est attachée se situe dans les critères que l’on utilise pour définir si ce qui y est relaté est vrai. Les certitudes sont difficiles à avoir mais ils peuvent se dire que « ce que Jésus dit à tel moment est tellement surprenant pour l’époque que cela n’a pas pu être inventé. Encore, c’est quelque chose de tellement embarrassant pour les premiers chrétiens qu’ils ne l’auraient pas inventé. Par exemple le fait que l’apôtre Pierre, disciple de Jésus, l’ait renié, ait trahi Jésus, ce n’est pas quelque chose que les chrétiens auraient inventé parce que c’est déshonorant pour un des principaux chefs de la première Église. Il y a une série de critères mais il y a des faits qui sont acquis. Le fait qu’il soit né dans tel pays, ait vécu à telle période, qu’il soit mort sous Ponce Pilate, crucifié mais aussi le fait qu’il était connu, même pour ceux qui n’y croient pas, pour être quelqu’un qui guérissait, délivrait les gens d’esprits mauvais, il était connu pour ça. Il avait cette réputation ».
À propos de la conservation des Évangiles, notons que le plus ancien fragment retrouvé, un extrait de l’Évangile de Jean, exposé à la John Rylands Library de Manchester (UK) date de 125 après JC, très peu de temps après que Jésus ait vécu. Pour Richelle, il faut comparer à d’autres sources littéraires antiques pour se faire une idée. « Flavius Josèphe, il faut attendre 900 ans entre son existence et les plus anciens manuscrits complets de ses œuvres. En 125, on est même pas 100 ans après la mort de Jésus. Ce fragment a de plus été retrouvé en Égypte, ça veut dire qu’il avait déjà circulé jusque-là. Pour les standards des œuvres de l’antiquité c’est très proche ! Les Évangiles sont considérés par les historiens comme des sources historiques du premier siècle et c’est vers eux qu’il faut se tourner pour avoir des renseignements sur la vie de Jésus ».
L’existence de Jésus n’est plus à démontrer, c’est un fait. The Chosen propose d’adapter le récit des évangiles en série et la question qui subsiste est ainsi la suivante : allez-vous croire à un Jésus historique, ou à un Jésus qui, bien plus que tous les super héros Marvel, est réellement le sauveur du monde ? »